L’internationale martiniquaise, également très active sur Instagram, Clara Kichenama (défenseure et milieu de terrain) nous parle de son vécu en sélection de Martinique et nous livre son sentiment sur le football féminin d’aujourd’hui.
Interview de Clara Kichenama :
Tu es la créatrice de « Foot Fanm_97x » sur Instagram. Un compte pour les amoureux du football féminin. En 2021, pourquoi avoir créé cette page Insta ?
“C’est parti d’une mission de service civique en Guadeloupe. C’était un projet de la mission locale qui permettait de faire un projet pour lutter contre les discriminations faites aux femmes. J’ai pensé à la création de cette page, Foot Fanm_97x, parce que j’estimais que dans le monde du football et notamment le football féminin, il y avait beaucoup d’injustice et beaucoup de discrimination en 2021-2022.”
Quelle est aujourd’hui ton ambition avec « Foot Fanm_97x » ?
“Je ne m’attendais pas à ce que ça prenne autant d’ampleur. J’ai eu beaucoup de retours à l’issue des interviews que j’ai pu réaliser. C’est à ce moment-là que j’ai compris que finalement c’était une création qui répondait à une demande. Donc, si j’ai l’opportunité de faire évoluer le football féminin au sein des Antilles, notamment en Guadeloupe et en Martinique, c’est tout ce que je souhaite. C’est vraiment de booster le mouvement.”
Rappelons que tu es une internationale martiniquaise. Tu as participé à la Gold Cup féminine en 2014. Quels sont tes souvenirs de cette compétition ?
“Ce sont des souvenirs qui sont marqués à vie ! À chaque fois que je vois un match de Concacaf, je repense à mon expérience. C’était vraiment enrichissant. J’étais jeune, j’avais 14 ans. Et, en étant avec une sélection seniors, franchement, il fallait gagner en maturité rapidement pour comprendre l’enjeu de la compétition. Ça m’a vraiment apporté que ça soit sur le plan footballistique, mais aussi sur le plan de la vie parce qu’on était confrontées au haut niveau et il fallait faire la différence absolument.”
Comment était la vie de groupe aux États-Unis, précisément à Kansas City, Bridgeview (près de Chicago) et à Washington DC ?
“C’était comme vivre un rêve ! Franchement, même jusqu’à maintenant j’ai les étoiles dans les yeux. Quand j’y repense, c’était le monde professionnel. Tout était carré. Le transport, les pelouses : synthétiques, herbe… C’était vraiment vivre un rêve professionnel et c’était une superbe expérience que je souhaite à tout le monde.”
Sportivement par contre c’était compliqué… 3 défaites face à la Jamaïque (6-0), le Mexique (10-0) et le Costa Rica (6-1)…
“Oui j’avoue que là… Nous on était de simples amatrices. Jouer face à des semi-pros ou professionnelles, c’est vrai qu’il n’y avait pas photo. On a pris des sacs de buts, ça c’est sûr. Mais en tout cas, je sais que quand on est retournées en Martinique, chacune des joueuses a pris l’expérience et on a évolué, que ce soit sur le plan de la mentalité et aussi footballistique : techniquement et physiquement, on a su faire la part des choses.”
Tu es même rentrée en jeu face à la Jamaïque, ça allait vite ?
“Ah oui ! Je suis rentrée et les quelques secondes qui suivaient, je reçois ma première balle. C’est là que j’ai compris que les joueuses en face étaient super physiques et on ne voyait pas le ballon passer tellement que c’était rapide. Mais en tout cas, je sais que j’ai quand même gagné un minimum d’expérience à l’issue de ce match-là.”
À cette période-là, tu ne pensais pas devenir joueuse professionnelle ?
“J’étais partie pour être pro puisque j’ai fait le Pôle et j’ai fait tout le nécessaire sur le territoire martiniquais… Mais malheureusement, cette même année j’ai perdu ma maman quelque temps après la Gold Cup en Concacaf. Donc, ça m’a un peu freiné… beaucoup freiné d’ailleurs et je n’ai pas voulu lâcher mon père à l’issue de cela.”
Mais, 2 ans après cette expérience en Gold Cup, la sélection et toi vous remportez un tournoi en Dominique…
“Oui, ça aussi c’était une très belle expérience. Dans ce tournoi, il y avait la Dominique, Saint-Kitts et Saint-Vincent me semble-t-il. C’était des équipes de haut niveau également mais c’était plus équitable par rapport à notre sélection. J’ai trouvé ce moment super intense aussi que ça soit sur les tactiques ou les phases de jeu qui étaient différentes des nôtres. Avec Aurélie Rougé, je me rappelle qu’on avait fait un travail au milieu de terrain et je l’ai retenu jusqu’à maintenant. Ce qui fait que lorsque je regarde des matchs de foot féminin, je repense à cette rotation.”
Prisca Carin, Johanne Guillou, Eve Hieu, Aurélie Rougé… Que t’inspirent ces joueuses ?
“Ce sont de grandes joueuses. C’était des modèles pour moi. Avant que je ne commence réellement à jouer avec les filles, puisque j’ai commencé avec les garçons, j’aillais voir leurs matchs et c’était impressionnant. Donc pour moi c’était les modèles, les potomitan (NDLR : terme créole qui signifie : les piliers) du football féminin et je voulais, je rêvais d’être à leur niveau. Quand j’ai pu jouer avec elles, c’était un honneur pour moi.”
Aujourd’hui, la sélection de Martinique est en sommeil… Un commentaire ?
“La Martinique et la Guadeloupe aussi, je tiens à le signaler. En sommeil… Je ne comprends pas. Je voudrais que les choses bougent et qu’il y ait de l’enjeu. J’ai trouvé, depuis mon retour en Martinique, que le niveau du football féminin a régressé par rapport à la période dans laquelle j’étais. Il y a un manque d’ambition, un manque de motivation, un manque d’engagement. J’ai l’impression que les filles attendent plus qu’un simple championnat en fait. Donc, il faut de l’enjeu et l’enjeu passe par la sélection. L’enjeu passe par la compétition internationale et par plein de compétitions même caraïbéennes. Donc, la sélection devrait se recréer et revivre parce que je pense qu’on a beaucoup de potentiel et la relève est assurée.”
Début avril, la sélection de Martinique U20 a participé à un tournoi international féminin en République Dominicaine. Bilan délicat : 3 défaites, un match nul et, selon nos informations, certains comportements qui ont déplu à l’intérieur du groupe. Après ce tournoi difficile, quel conseil peux-tu donner à ces jeunes dont la plupart n’avaient même pas 20 ans ?
“Tout d’abord, je tiens à les féliciter. Bravo les filles pour votre parcours. C’est vrai que ça a été difficile, les scores ont parlé. Mais, sur le terrain, sur ce que j’ai pu voir, vous étiez combattives et c’est ça qu’on relève. Maintenant, quels conseils je peux donner ? C’est de persévérer, de continuer à travailler, que ce soit individuellement ou collectivement. Et puis, de ne pas attraper la grosse tête, ça, j’y tiens parce que je sais pourquoi. Être humbles et continuer à travailler. C’est ça le secret de la réussite, c’est travailler, travailler et travailler. Persévérer et rester les pieds sur terre.”
À titre personnel, tu étais en Guadeloupe et tu étais joueuse de football mais aussi de futsal… Cette discipline, on ne la voit presque pas en Martinique. Que penses-tu de cette situation ?
“Il y a quelque temps, j’étais dans un match de la Relève Lamentinoise contre Kosmos, chez les garçons. Il y avait une ambiance de folie. Mais, je me suis demandé : pourquoi il n’y a pas ça pour les filles ? Pourquoi il n’y a pas la même chose pour les filles ? Il faut vraiment que les instances qui sont concernées par la création de championnats puissent mettre en œuvre les projets parce que les filles ont envie et j’ai eu beaucoup de retours grâce à ma page justement. On a envie et on veut un championnat de futsal féminin. On ne veut pas se contenter de faire des entraînements en mode swé (NDLR : terme créole qui signifie une partie sans enjeu)… On veut de la compétition, que ce soit en foot à 11 ou en futsal.”
Aujourd’hui en Martinique, comptes-tu rejouer au football la saison prochaine ?
“Oui bien sûr, le football c’est ma passion. Donc, oui je veux rejouer. J’ai plusieurs clubs dans le collimateur. Les play-offs vont être décisifs dans ma prise de décision.”
Quels sont ces clubs ?
“Les clubs les plus hauts : le RC Rivière-Pilote, l’Avenir FC, le Club Franciscain, et même l’Émulation, pourquoi pas… C’est mon ancien club formateur.”
Et tu seras toujours sélectionnable ?
“Ah pour ça, je ne vais pas cacher que je travaille pour. Ce sera au sélectionneur de décider. Mais en tout cas, je vais tout faire pour retrouver ma Martinique et défendre les couleurs de mon île que j’aime.”
.